Je suis comment ? Et bien maintenant qu'on me pose la question, j'aurais dû me reconvertir dans le mannequinat à ma sortie de L'Enclos. Musclé, bronzé, grand et un petit air de Bad Boy. L'effet aurait été ravageur sur les Midinettes. Je dois avoir loupé ma vocation, quelle tristesse.
Mais venons-en aux choses sérieuses et cessons de tergiverser. Je préfère m'abstenir de dire duquel de mes parents je tiens le plus, ceci peut vite devenir très embarrassant.
Ma silhouette est fine et régulière, dans les 1m80, pour 68 kg, que du muscle, et du bon ! Non non, je ne fais pas de pub pour un quelconque amincissant et je ne travaille pas comme gigolo. Quoique, c'est rentable vous pensez ? Je n'aurais pas assez de temps pour combler tout le monde, malheureusement. Un visage plutôt fin, un nez très légèrement aquilin, de petits yeux inquisiteurs …
Cheveux blonds, avec ne coupe assez courte quoique quelques mèches rebelles se glissent un chemin vers mes yeux, mais rien de très perturbant. Et puis l'allure savamment négligée n'est-elle pas à la mode après tout ? D'où me vient cette envie, je répondrais simplement celle du changement, celle de faire original, ou rebelle, au choix. Pour parfaire ce portrait je m'attribue des yeux bleus; certains me trouvent alors une allure un peu folle, un peu sadique, ou plus raffinée. Tous les goûts sont dans la nature après tout. N'oublions pas les lunettes de soleil et la cigarette à la bouche. C'est mauvais pour la santé et ci et ça, gardez votre salive.
Niveau vestimentaire, je ne cherche pas la sophistication, bien que j'affectionne tout particulièrement les smoking et les gants. Ils sont porteurs d'un charme certain, qui colle à merveille avec ma personnalité. Sinon le classique jean moulant, et t-shirt moulant ou chemise immaculée sont assez à mon goût. J'aime assez marcher pieds nus, mais des mocassins font très bien l'affaire pour sortir, ou une paire de chaussure en toile classique.
La simplicité fait tout le charme. Tout moi quoi..

Je n'aime pas parler de moi, de mon histoire, revenir sur certaines blessures alors qu'aujourd'hui elles se cicatrisent … Mais c'est peut être un passage obligé pour comprendre le sens que revêtent mes actes aujourd'hui.

Autant le dire tel quel : je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche. Mon père … Et bien mon père avait, a toujours, je suppose, une place importante dans le gouvernement et ma mère était, est toujours probablement, neurochirurgienne à l'hôpital. Je n'ai jamais manqué de rien durant mon enfance, sauf de parents. Ils n'étaient jamais présents. J'ai été élevé par une femme qui ne faisait pas partie de ma famille et qui me portait pourtant plus d'affection qu'eux tous réunis. Elle s'appelait Anna. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue aujourd'hui, mon père l'a renvoyé après que j'eu reçu ma lettre. J'aimerai bien la revoir, la remercier, m'excuser. Elle a tant fait pour moi, et ce que j'ai fait en retour ne lui a pas été favorable. Ne l'a été à personne en fait. Mais là n'est pas encore le sujet pour le moment.
J'ai un petit frère. Il s'appelle Josh. Comme si cela ne suffisait pas d'avoir un enfant délaissé à la maison, il a fallu que mes parents en conçoivent un deuxième. Lorsqu'il est né, j'avais 10 ans, et je ne voulais pas de lui. Le peu de fois que je voyais mes parents, ou que nous avions l'occasion de partager des moments en famille, tout cela ne serait plus comme avant désormais, avec sa venue. J'ai été d'autant plus délaissé qu'il était un nourrisson et moi un jeune garçon intrépide. Mes parents se faisaient un peu plus présents à la maison, s'occupant bien de lui, essayant peut être de rattraper ce qu'ils avaient loupés avec moi. Ma mère s'en voulait, regrettait de ne pas avoir joué son rôle correctement, cependant au lieu de rattraper le temps perdu, elle mettait toute son énergie à s'occuper de Josh, et non pas à nouer des liens avec moi.
La crise ravageait la ville et il ne faisait pas bon rester dans les rues. Elle continuait à faire ses journées à l'hôpital, mon père lui, a fini par travailler de la maison, sur un plan de redressement de la ville. Il n'avait alors plus de temps pour Josh, comme il n'en avait pas eu pour moi. La journée, Ana s'occupait de mon petit frère, et m'encourageait à faire de même. Il n'y était pour rien après tout, de ce qu'était la situation … C'est moi qui entendit son premier mot, c'est moi qui lui fit faire ses premiers pas et c'est moi qui le vit vraiment grandir.
C'était un petit garçon très intéressé par tout ce qui l'entourait, plutôt précoce pour son âge, il comprenait vite et bien. Très vite, il me surnomma Akai. Un mélange entre mon prénom et notre nom je crois, bien que je n'aie jamais vraiment su d'où il venait.

Je ne crois pas avoir précisé que je ne quittais l'immeuble qu'en de rares occasions. Nous habitions dans un hôtel privé, où chaque étage était un appartement luxueux. Avant la naissance de Josh, j'allais à l'école privée du quartier, non loin de chez moi. Puis lorsqu'il est né, la crise est survenue peu de temps après, et notre aisance de vie commença à énerver. Nos parents, à moi, mais aussi aux autres jeunes de l'immeuble, décidèrent de faire venir des professeurs pour des cours privés, chez nous. Nous n'avions pas des journées entières à rester assis sur une chaise et à écouter, juste quelques heures durant l'après-midi. Un choix étrange, mais selon nos parents, plus intensif, puisque ce qui nous était enseigné était de qualité et d'un niveau supérieure à ce qui était transmis dans les écoles publiques de quartiers.
Nous étions destinés à devenir les élites, nous en avons décidé autrement. Nous étions jeunes, bien loin des préoccupations de nos parents, nous sortions sans les avertir, rencontrions d'autres jeunes, moins aisés, mais plus libérés, plus heureux, aussi plus dangereux probablement. Alcools, drogues, délits mineurs : nous nous sommes laissés entrainés dans un mouvement de rébellion de la jeunesse, une jeunesse qui partait progressivement en vrille. Jusqu'au jour où La Chasse débuta. Lorsque cette loi fut mise en place, j'avais 17 ans.
J'ai reçu ma lettre un matin en sortant de la douche. Mon petit frère, alors âgé de 7 ans, déboula dans ma chambre en me disant que j'avais du courrier, venant du ministère; il pensait que j'allais avoir un travail comme papa. Mon père d'ailleurs, alerté par l'engouement de mon frère, se tenait dans l'embrasure de la porte de ma chambre, les sourcils légèrement froncés, alors que mon petit frère s'était jeté sur mon lit. J'ouvris ma lettre avec curiosité, et n'y trouvais pas une lettre d'embauche, mais une convocation officielle. L'Enclos m'attendait.
Mon père était hors de lui. Non pas parce que je devais partir sous peu, mais parce que je faisais partie de ces délinquants qui empêchaient la ville de prospérer et de se remettre. Il n'avait jamais eu idée de ce que je faisais de mes soirées, il tombait de haut. Mon père qui avait tellement fait pour redresser La Ville …
Envoyé à L'Enclos par mon propre père.

Nous étions plusieurs le lendemain en bas de l'Immeuble, en partance pour L'Enclos. Mes amis, tous aussi déconfis que moi. Nous avions tous été convaincu toute notre vie d'être à l'abri de tout. Riches, brillants, bien élevée, beaux. Mais la machine se retournait contre nous. Mon frère, impassible, ne laissa rien transparaitre, il me regarda m'éloigner, sans un mot.
Mais nous ne savions pas ce qui nous attendait … Il ne s'agissait pour nous que d'une maison de redressement des plus strictes. Mais nous étions loin de nous douter de ce qui nous attendait. La violence était ce qui était le plus fréquent. Des règlements de compte constants, mais aussi la volonté de certains groupes de s'imposer sur les autres, de créer une sorte de hiérarchie au sein même de L'Enclos. Mes amis et moi nous retrouvions séparés, chacun à une extrémité, seul face à l'adversité. J'étais de nature fière et méprisante, mais je n'avais jamais assisté à des bagarres de rues. J'en garde encore quelques cicatrices.
Il m'a très vite fallu faire un choix, rester passif, ou me défendre. J'ai opté pour la seconde option. A chacun de mes moments libres, entre les cours, avant, après, à la pause déjeunée, j'allais au gymnase, m'entrainer. Toute ma frustration ressortait durant ces séances de sport quotidien. Celle envers mon père, envers les lieux, mais aussi celle de ne plus voir mon frère, de ne plus être présent pour lui.
J'ai passé six ans à L'Enclos, à voir des visages défiler, des situations se répéter, à vivre sans y mettre un réel entrain. Se lever, travailler, manger, courir, travailler, combattre, se coucher. Une journée classique. La même, chaque jour, inlassablement, pendant six ans.
J'ai rencontré une fille là-bas, elle s'appelait Malya. J'avais pour habitude de ne pas me mêler des affaires des autres, de m'occuper uniquement de moi et de ma vie, de me renfermer dans mon petit monde égoïste; je n'avais plus que de vagues contacts avec mes "amis", d'ailleurs. Mais cette fois-là, ça a été plus fort que moi. J'avais 21 ans à l'époque, et elle 17, le même âge que moi lorsque j'étais arrivé.
Je l'ai croisé à l'angle d'un bâtiment, entourée de trois gars, aux intentions assez malhonnêtes. Discuté n'avait pas servi à grand-chose, combattre avait été une solution. Et quelle ne fut pas ma surprise en constatant qu'elle savait se battre ! C'était une vraie furie, un peu effrayante. Je n'ai pas grandi dans un quartier à problèmes, jamais connu aucune violence, cela m'était toujours étrange de la côtoyer au quotidien et de voir qu'une fille se battait aussi bien, voire mieux que moi. Je n'ai jamais su pourquoi elle était à L'Enclos, comme elle n'a jamais su pourquoi j'y étais non plus. Rien sur nos vies, juste le moment présent. Nous nous retrouvions dès que nous pouvions, pour discuter, s'entrainer, ou simplement avoir de la compagnie.
Je n'ai pas eu l'occasion de lui dire au revoir lorsque ma majorité atteinte, je reçu l'autorisation de quitter L'Enclos. J'ai aperçu son visage derrière une vitre, un très léger sourire au coin des lèvres, un léger signe de la main, puis plus rien. Ce jour-là, mon frère m'attendait à la sortie. Lui qui n'était qu'un enfant lorsque j'étais parti, était désormais un adolescent, toujours aussi plein de vie, mais avec une réserve certaine dans le regard. Il était seul, adossé à un taxi.

Il ne me ramena pas chez nous, mais dans un vaste appartement se situant au-dessus d'un bar, dans les quartiers populaires. Je me demande encore aujourd'hui où est-ce qu'il était allé dénicher cet endroit, et comment il était arrivé dans ces quartiers, à son âge, et au vu de notre milieu. C'était un jeune très débrouillard apparemment, mais quelles étaient toutes ses occupations, mystère …
Il s'était douté que je ne voudrais pas retourner chez nous, c'est pourquoi il avait acheté cet appartement, avec l'argent de l'héritage.
Ma mère était morte. Suicide. Dépression, après mon départ. Mon père, toujours aussi irascible.
Josh me raconta l'état actuel des choses, la chasse à l'homme qui faisait rage dans La Ville, la nouvelle hiérarchie qui s'était établie durant ces dernières années. Minister, Hunter, Prey, Civilian, tout cela m'était bien étranger. Alors que notre jeunesse ne pensait qu'à s'amuser, celle-ci essayait selon sa situation, de survivre ou de causer du tort au Ministère. Josh me raconta comment lui et ses amis s'étaient organisés pour aider ceux qui ne méritaient pas d'aller à L'Enclos, ceux qui étaient trop faibles ou n'en avaient pas le courage; ils les cachaient alors alternativement chez eux, dans les quartiers huppés, ou dans divers bâtiments désaffectés.

Il avait bien grandi … Je ne retrouvais plus le petit frère peu sûr de lui, mais un adolescent endurci, qui se battait pour ses idées, avec la fougue de sa jeunesse. Il avait développé un caractère fort, trop peut-être.
Il vivait toujours à l'hôtel, avec notre père, donnant l'image du fils modèle, qui en fait s'appliquait à détruire le travail du père. Mais ce dernier ne se laissa pas tromper une deuxième fois …
Malgré sa prudence, Josh ne fut pas épargné. Mon père ne reconduisit pas l'erreur de ne pas s'intéresser à sa propre famille, de ne pas se sentir concerné par ce qui se passait dans les rues. A 16 ans, Josh reçu sa lettre, comme les autres. Aucune plainte, aucune peur, juste de la résignation et de la colère. Il n'eut pas l'envie de courir les rues pour y échapper, il voulait se confronter à la situation; après tout, si j'avais réussi, pourquoi pas lui ? Il me prenait comme modèle, m'idéalisait, alors que nous étions bien différents. Je n'avais fait que me défendre, et quelque chose me disait que l'envie de Josh serait de s'imposer.
Il est venu me demander conseil, écouter ce que j'avais à lui apprendre sur l'Enclos. Nous n'en avions jamais parlé auparavant, comme dans un accord tacite de ne pas revenir dessus. Mais la situation nous y confrontait encore.
Je lui parlais de de Malya, qui devait être dans sa dernière année, celle de sa majorité. Il pourrait trouver en elle une alliée en cas de besoin. Mais cela faisait déjà trois ans, que j'avais quitté l'Enclos, peut-être avait-elle oublié … Mais Josh ne semblait pas disposé à recevoir l'aide de quiconque.
Je le laissais partir avec le pressentiment qu'il avait quelque chose en tête, quelque chose de mauvais, pour lui, ou pour nous tous.

Aujourd'hui, je continue à vivre dans cet appartement déniché par Josh. La vie a repris, doucement, là où elle s'était arrêté. J'ai rattrapé ma jeunesse en lui courant après, reprenant soirée de beuverie et dérives de drogués. Cependant, revenu dans le monde réel, rester passif ne me convient pas non plus. Je n'ai plus à me défendre, il ne me reste donc plus qu'à agir, pour mon bien. Je vis et finance l'appartement grâce aux économies que je disposais dans ma jeunesse et à l'héritage de ma mère, qui m'est parvenu par le biais d'un compte étranger, dissimulé à mon père. Aussi étrange que cela puisse paraitre, il ne m'a pas coupé les vivres, il n'a pas gelé mes comptes, mais il ne les entretient pas. Et c'est aussi bien, je n'aurais donc rien à lui devoir.
Pour occuper mes journées, je me suis inscrit à la Faculté de Droit pour y suivre quelques cours. Au fond de moi, l'espoir subsiste de retrouver une paix, de démanteler cette loi qui nous sépare tous. Mais en attendant, il faut bien vivre. Alors paradoxalement, le soir, je traine dans ce bar en dessous de chez moi, un bar qui m'appartient. Ah oui, j'ai dû oublier de vous dire que le patron est mort d'un cyrose et que j'en avais assez de tout ce tapage en bas de chez moi, j'ai donc racheté et rénové l'endroit, pour en faire quelque chose d'un peu plus chic. Akai's Palace. Quelques tables de jeux, quelques danseuses, quelques transactions. Une plaque tournante, où Hunter et Prey se côtoient, sans que les uns ou les autres ne s'en rendent réellement compte. Du moment que le commerce fonctionne et que mes intérêts sont préservés, la nature de ma clientèle m'importe peu. D'une certaine façon, je continue le combat de mon frère, je cache les Prey qui le demandent, moyennant transactions. Aider le plus offrant reste mon crédo. Je vis bien loin du luxe de ma jeunesse, sans pourtant être dans le besoin, loin de là.
Le mouvement de rébellion de la première jeunesse, de ma jeunesse, n'a fait que s'amplifier ces dernières années. Mon frère a lutté. Je reprends la lutte, pour qu'il ne soit pas parti en vain. Mais je la reprends à ma manière. Let's the game begin !!